Salut les Amis,
Il est désormais inutile de le cacher, me voilà au seuil de la saison des pluies. Dehors s’abattent depuis plusieurs heures des trombes d’eau sous un orage assourdissant. Après une journée de chaleur intense et d’une humidité nouvelle, l’air s’est brutalement rafraichi, le son du tonnerre, lointain, a d’abord résonné dans un ciel limpide puis, sans que je m’en aperçoive, de gros nuages noirs ont précipité le venue de la nuit et ce fut le déluge.
On m’avait pourtant prévenu, la belle saison en Casamance s’arrête en avril et commence alors le terrible « hivernage » qui doit durer un peu plus de quatre mois. La chaleur va encore s’intensifier, l’humidité sera désormais permanente et étouffante, et les pluies dureront parfois des jours entiers, défonçant les routes de sable et les toits de tôles. Les insectes vont se multiplier et ce sera (ça commence d’ailleurs ici même, dans ma chambre) un concert assourdissant de vrombissements en tout genre. Des cohortes sans fin de moustiques, de mouches et de cette variété étrange de fourmis vola ntes (qui piquent, ça va de soi). Ceci dit, le bon côté de la chose c’est que la végétation va renaitre et que la région sera de nouveau luxuriante. Décidemment, le climat Soudano-Guinéen, c’est quelque-chose.
Et ce revirement climatique colle assez bien avec une nouvelle période dans ma vie d’exilé lointain. Je commence à avoir le spleen. Eh oui, l’était temps, diront ceux qui me connaissent le mieux. Mais c’est que d’une part mon stage s’embourbe et que par ailleurs, j’ai subitement pris conscience que la bouteille de Gin coutait l’équivalent de 6 euros, alors forcément…
Pour vous faire un rapide topo sur le stage, voilà ce que l’on peut en dire. La Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance est une structure qui se présente sous la forme d’une vaste coquille vide aux ambitions démesurées. Tout notre travail est miné par des rivalités de pouvoir internes, des egos sur-dimensionnés, une vénalité rampante et surtout, par le manque d’argent. Mais quel genre de bailleurs accepterait de financer une organisation qui ne sait même pas de combien de membres elle est composée et qui n’est encore jamais parvenu à réunir ne serait-ce qu’un quart de son assemblée générale ? Les gens ne viennent pas et les salariés désertent systématiquement le bureau à partir de midi, quand ils font l’effort de venir même travailler le matin. Dans ces conditions, je me retrouve à venir tous les matins au bureau vers 8h30 pour ne repartir que vers 17h30 avec strictement rien à faire. On ne me dit rien, on ne me confie rien. J’avais bien essayé de lutter pour que la Plateforme se bouge et se structure un peu, mais toutes mes propositions et tous mes documents ont gentiment été mis à l’écart et oublié. Et croyez-moi, venir jour après jour dans un bureau étouffant pour suer à ne rien faire, c’est dur pour le moral. Surtout quand la pe rspective la plus probable est que cela dure encore 4 mois. Alors j’ai décidé de chercher un autre stage, et c’est ce que je suis en train de faire.
Que dire de plus. Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire d’autre week-end dans la région. Il faut dire que chaque voyage me coute assez cher car si je ne veux pas les faire seul et que je propose à un ami de venir, je dois tout payer en double puisque la plupart n’ont pas de salaire et ça chiffre vite. Moi qui pensais que je ferai des économies en Afrique ! Je dépense autant qu’à Lille, peut-être même plus… mais je dois me faire avoir quelque part. Ça aussi, ça pèse sur le moral parfois.
Et en plus, je suis tombé malade ! Et bon, quoiqu’on en dise, tomber malade sur ce continent, c’est toujours un tantinet plus stressant qu’en Europe. A la première poussée de fièvre, on pense au palu, à la première nuit passée la tête dans les chiottes, on pense à l’état de délabrement de l’hôpital dans lequel il faudra se rendre si c’est une intoxication et on vomi encore plus… Et ce jour-là, alors que j’avais courageusement pris la décision de rester chez moi pour essayer de récupérer, voilà que ma patronne m’appelle pour une « urgence ». Une lettre à rédiger et envoyer avant 17 heures à un important bailleur de fonds. Visiblement, elle ne peut pas l’écrire elle-même et tous les autres ont, selon leur habitude, déserté le bureau. Je proteste un peu, silence gêné, puis elle dit d’une voix plaintive « mais comment faire ? », silence, je dis que j’arrive. Arrivé trempé et fiévreux au bureau, je découvre qu’en fait de lettre, c’est une explication des dépenses des 6 derniers mois de la Plateforme que le bailleur attend. Des dépenses pour des activités que je ne connais pas, puisque je suis arrivé il y a deux mois et qu’on a encore conduit aucune activité depuis. On me file trois pauvres documents et, miracle de la fièvre, je ponds trois pages de pipeautage-justification sur l’utilisation de ces millions (de francs CFA, hein !). Au pa ssage, je découvre sur le contrat du bailleur que le financement promis n’était non pas de deux ans comme tout le monde le clamait à l’ONG, mais de 6 mois seulement et qu’il a pris fin en janvier dernier. Ceci explique pourquoi on nous a coupé le téléphone et internet. J’essaie de l’expliquer à ma patronne, mais elle n’en démord pas : le bailleur s’est engagé pour deux ans. Visiblement, personne ne sait lire un contrat, j’abandonne. La lettre est postée, advienne que pourra pour ce pauvre financement fantôme.
Bon, pour éclaircir le tableau, je vais tout-de-même vous raconter ma rencontre avec les rebelles, ça nourrira vos attentes d’aventures…
C’était quelques jours avant cet épisode, je me trouvais comme à l’accoutumé au bar du campement de mon quartier. Sirotant une bière fraiche en compagnie d’un ami. Le gérant de l’endroit, Bass, que je commence à connaitre, s’approche d’un air réjoui. Il sait que je m’intéresse au conflit en Casamance et on en parle souvent tous les deux. Après s’être jeté dans un hamac près de notre table et s’être allumé une cigarette dont il tire une longue bouffée, il me dit ce que j’attendais depuis longtemps. « Ils sont d’accords ». « Ils » ce sont les membres du maquis qui ont une planque non loin de mon quartier, et s’ils « sont d’accords », c’est pour que je les rencontre. Joie et peur. Je me dis très vite que j’ai peut-être été un peu rapide et inconscient ce jour où Bass m’avait dit qu’il savait où les rebelles étaient à Ziguinchor et que j’avais répondu que j’aimerai bien aller leur parler. La bière avait parlé avant moi et voilà la conséquence. Mais qu’est-ce que je pouvais bien leur dire à ces rebelles, moi ? La plupart des membres du MFDC qui habitent cette semi-planque (tout le monde la connait dans le quartier) ont quitté le maquis depuis un bout de temps, mais on me dit qu’ils accueillent encore parfois des maquisards qui cherchent refuge ou qui doivent simplement se rendre en ville. C’est d’ailleurs tout le problème avec ces rebelles, dans la brousse, on peut les reconnaitre, mais en ville, ils sont partout et invisibles. C’est ce qui explique que beaucoup de gens ont peur d’exprimer leur point de vue sur le conflit quand je les interroge. Bon, me voilà donc devant cette bière, à deux jours de les voir enfin, ces fameux grands méchants.
Le jour fixé arrive, je retrouve Bass qui m’accompagne jusqu’à la maison mais qui reste à bonne distance. Il aime pas trop trainer dans cet endroit et ni avec ces gens quand même. J’entre seul dans la cour entouré par une haute palissade de roseaux. Il fait presque nuit. C’est juste après ma poussée de fièvre et je suis encore tremblant, ou bien est-ce la réputation des rebelles ? Je serre quelques vagues questions entre les mains : officiellement, je suis un étudiant qui rédige un mémoire sur le conflit, pas question qu’ils apprennent que je bosse pour la Plateforme, ils ne diraient plus rien. Un petit homme m’attend sur une chaise et me propose de m’assoir. Il est souriant et parle un très bon français, visiblement, il a l’habitude de raconter le conflit aux néophytes. Je me détends un peu. La conversation va durer plus d’une heure et demi. Son discours est très intéressant par ce qu’il omet de dire ou transforme volontairement. Je suis content de constater que j’en sais assez pour pas qu’on me la fasse à moi. Sa position angéliste sur les rebelles et la diabolisation des forces gouvernementales, les arguments historiques d’une prétendue Casamance indépendante, je les aurai démontés en trois minutes si je n’avais eu cette petite voix pour rappeller que j’étais quand même, du moins en partie, dans la gueule du loup. Eh ! qui sait ce qui se cachait derrière les murs de ces cases ! Qui sait qui étaient ces hommes qui traversaient parfois la pénombre de la cour pour disparait derrière une porte ! Mais de son discours, je comprends que ce confit n’est sans doute pas près de connaitre son dénouement. D’abord, le MFDC estime que c’est la France qui a promis son indépendance à la Casamance et que c’est à elle d’intervenir pour régler la question, ensuite il me dit ce que je sais déjà, à savoir que les rebelles sont liés à la lutte par un serment mystique et que seuls ces puissances mystiques peuvent mettre fin à leur combat. Il faudrait donc l’intervention conjointe de la France et des génies de la forêt, un genre de processus de paix qu’on a pas vraiment étudié à l’IEP… Je repars de là assez fier de moi, surtout que les gars de la maison se montrent plutôt épatés, particulièrement Abel qui jure que jamais il ne serait allé trainer avec ces gens.
En parlant de mysticisme, je ne résiste pas à vous dévoiler un autre secret. La maison voisine de la mienne abrite un fétiche Mandjak. Un fétiche assez puissant pour attirer des sénégalais du monde entier qui veulent se débarrasser d’une malédiction ou faire fructifier leurs affaires. Quand un cas grave arrive, les femmes responsables du service mystique se réunissent toutes la nuit et c’est alors une ambiance remplie de mystère et d’angoisse qui tombe sur la maison. La nuit noire est transpercée par des cris surhumains et un rythme infernal de Djembé peuple les rêves d’images tirées d’Apocalypse Now ou d’au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Allongé sous ma moustiquaire, je ne peux jamais m’empêcher de frissonner malgré la tiédeur de la nuit.
Des bisous les amis, vous me manquez toujours terriblement.