L’Italie n’existe pas. Il y a des Italies. Mon Italie, c’est celle de Bologna-la-rossa : Bologne la rouge. Rouge parce qu’à l’époque où la gauche existait en Italie, Bologne était de gauche. L’université est la plus vieille du monde occidental. Fondée en 1088, elle s’est peu à peu étendue jusqu’à recouvrir un tiers de la ville. Ici, le temps est magnifique, le soleil d’après-midi écrasant, la nuit estivale douce, le vent du matin caressant. Ici, le café est bon et pas cher et il en va de même pour la pizza (4 à 6€ pour une pizza qui se mange à deux à moins d’avoir un appétit d’Anthony Seva). Ici, les épiciers ne sont pas arabes mais indiens et la bière est dégeulasse. Ici, chercher un logement consiste à parcourir les rues à la recherche d’annonces collées n’importe où (pilonne, poubelle). Ici, la résidence étudiante n’existe pas et une chambre normale c’est une doppia : 15m2 que deux personnes se partagent. Ici les policiers ont des voitures de sport et des pantalons moulants.
L’Italie n’existe pas. L’Italie est un pays dual. D’un côté on trouve ces sympathisants de gauche qui adorent la France car c’est un pays qui sait se révolter. De l’autre on trouve ces sympathisants de la Lega Nord pour qui le problème est simple : les immigrés. D’un côté on a cette plaque qui honore les résistants antifascistes des années 1943. De l’autre on a cette autre plaque qui fait l’éloge des « fiers combattants » italiens qui sont morts à la Guerre d’Espagne… du côté de Franco.
Pour parler de choses insignifiantes, parlons de moi. J’ai quitté ma douce Normandie le 30 Août. Après 16heures de train je suis arrivé en Italie. L’italien qui devait me loger pour une semaine m’a fait une couille, résultat, me voilà seul sous les 31°C du soleil écrasant de Bologne un lundi matin, avec toutes mes bagages sur le dos, sans savoir où aller, sans savoir si je dormirais sous un toit ce soir. J’ai été sauvé de la rue pour une nuit par un israélien, pour deux autres par un polonais. Après ces trois jours de sueur et d’angoisse, j’ai trouvé un appartement dans lequel je vis actuellement. Une chambre chère et lointaine mais rien que pour moi tout seul (le luxe !). C’est une collocation avec deux italiens située à une demi-heure à pied du centre ville mais bien reliée par un bus dans lequel je n’ai toujours pas croisé de contrôleurs. Le gros point positif, c’est que je peux inviter quelqu’un à dormir dans l’appartement. Ma sœur fut la première invitée et sera la première à venir : elle arrive vendredi matin.
L’Italie est un pays dual. De l’Italie, on a surtout une image du « bel paese », de la « dolce vita », des sublimes filles bronzées et peu vêtues qui roulent en Vespa avec leurs lunettes de soleil Gucci, qui mangent des pizza et boivent des cappuccinos ou du lambrusco. Cette image pacifique de l’Italie est juste. Cette image pacifique de l’Italie est juste incomplète. L’Italie c’est aussi cette rue qui porte le nom d’Aldo Moro, homme politique kidnappé, séquestré, tué puis abandonné dans le coffre d’une voiture par les Brigate Rosse. L’Italie, c’est aussi la Mafia, peu présente dans les faits à Bologne mais omniprésente dans l’esprit de tous ces jeunes du Sud qui fuient leurs pays parce que « L’ascenseur social pour un jeune du Sud, c’est soit quitter son pays pour aller étudier et travailler autre part, soit travailler pour la mafia ».
L’Italie, c’est aussi cette bibliothèque de la fac de droit où tu ne peux accéder qu’en passant à travers un sas blindé. Un sas blindé mis en place après que des émeutes entre étudiants en ait envoyées des centaines à l’hôpital et quelques uns au cimetière. Bologne, c’est enfin cette gare, refaite à neuf après sa destruction totale par un attentat en 1980. Avec la gare, ce sont 85 vies qui sont parties en fumée. 85 individus qui avaient leurs rêves, leurs angoisses, leurs amours, leurs haines, leurs qualités, leurs défauts, leurs enfants, leurs amis. 85. Quatre-vingt cinq. C’était il n’y a même pas trente ans…
Mais Bologne c’est aussi cette ville sublime aux dix palais, cents musées et mille églises. C’est cette petite église située Via San Vitale devant laquelle on s’arrête, on jette un œil à l’intérieur, puis, on rentre et on tombe littéralement à genoux, submergé par la beauté totale de cet endroit. Et on en vient à prier tout en ne sachant pas si l’on remercie Dieu ou le Génie Humain. C’est ce Café Zamboni où deux vieux, entourés qu’ils sont par une armada d’étudiants, parlent entre eux de leurs petites et joyeuses vies. Ce sont ces italiens qui s’enflamment parfois lorsqu’ils parlent de politique, toujours lorsqu’ils parlent de calcio. C’est ce jeu du soleil qui nous permet de découvrir chaque statue, chaque heure, sous un autre jour.
L’Italie, c’est aussi ce pays où le racisme monte au point qu’il se sent dans l’attitude des italiens envers les étrangers. L’audience de la Lega Nord s’accroit chaque jour. Pire, des attitudes racistes s’étalent au grand jour. Les Leghista n’ont même plus besoin d’avancer masquer : ils clament haut et fort leur racisme, leur haine des estra-communotari (comprenez, les non-européens, les non-blancs). Ils mettent en place des « milices de vigilance citoyenne » pour partir gaiement à la chasse aux immigrés.
Mais à Bologne-la-tolérante on peut (encore) être noir et vivre à peu près normalement. A Bologne on peut encore vivre en étant gay même si, dans la rue, il vaut mieux éviter de le montrer. Bologne reste une sorte d’îlot de tolérance dans une mer décidément bien agitée par la xénophobie.
Pourquoi parler de cela ? Pourquoi ne pas en rester à la véridique mais incomplète carte postale de la Dolce Vita ? Parce que, comme dirait le poète, « Rather than love, than money, than fame, give me truth ».
Mais rien, rien ne me gâchera mon année ici ! Rien, même pas ce douanier qui a traité pire qu’un chien un italien qui avait fait l’erreur de naître au sud du Sahara. Rien, même pas ce bruit assourdissant des scooters lancés à toute allure dans les rues du centre-ville. Rien, même pas cette lubricité perverse qui emplie le regard qu’un trop grand nombre d’italiens jettent aux femmes. Rien, même pas cette élévation de l'apparence au rang de valeur absolue.
Cette 3e année ici, je l’ai voulu. Bologne, je veux l’avoir et je l’aurais !
Tanti bacci da Bologna.
Tom-Tom
P.S
Toute référence de ma dernière phrase à une chanson de Joe Dassin serait purement fortuite.