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19 décembre 2009 6 19 /12 /décembre /2009 12:20
Aujourd’hui (vendredi 18 décembre), sachez-le, c’est l’Hégire. A noter qu'au moment où je finirai d'écrire, nous serons le 24, décalage horaire oblige.
L'Hégire, c'est le nouvel an dans le calendrier lunaire musulman. Aussi n’ai-je pas cours. Au Liban, on cumule les jours fériés des différentes communautés, c’est pratique : à la rentrée de janvier nous attend le Noël arménien par exemple. Mais à l’évocation du mot sacro-saint de Noël, je vous sens glaçé d’effroi. Horreur, tempête et chocolats, Noël approche à grands pas et ceux d’entre vous qui ont la chance de retourner au bled pour l’occasion ont déjà littéralement explosé leur budget mensuel pour acheter de menus cadeaux à leurs proches. La période de l’Avant est une course au long cours, un marathon dont on sort épuisé physiquement, déstabilisé moralement, vidé psychologiquement et à court financièrement.
A dire vrai, devant ce gouffre infini (au passage, un jour il faudra évoquer la dette de l’Etat libanais, qui est relativement à la taille du pays beaucoup plus importante que celle dénoncée par F. Bayrou lors de la dernière campagne présidentielle), beaucoup d’entre vous ont du mal à y croire. Propulsés soudain en plein paradis de la consommation contre votre volonté, vous croyez à une hallucination en voyant le père noël débarquer dans votre supermarché.
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A croire que mon appareil photo avait abusé des boissons vendues dans ce rayon. Incroyable mais vrai, Noël arrive. Et à Beyrouth (et surtout dans la partie Est, à majorité chrétienne), ce n’est pas une mince affaire.

Dans le paysage un peu désolé des Starbucks, Costa Café, travaux et Columbiano de la place Sassine, vous observez avec mélancolie les voitures passer, mises en mouvement par cette apparition quasi-onirique tant elle est difficile à comprendre qu’est l’agent de circulation (à noter que si vous passez sans son consentement, ce qui est extrèmement rare, cette illusion d’optique se fait fort de vous ramener à la réalité en assénant un coup de pied sur votre voiture, récupérant d’un seul coup tous les attributs de l’existence – ceci dit sans référence aucune à la phénoménologie hégelienne), eh bien d’un seul coup cette place grisâtre de pluie s’éveille à la douceur des chants de Noël. Des chants de Noël, aimablement débités dans des hauts-parleurs habilement situés, souvent en français dans le texte, ramènent votre raison tourmentée d’étudiant préocuppé avant tout par ses travaux à rendre à de plus sages considérations. Au cas où en arrivant à la faculté, vous seriez encore plein de soucis, rassurez-vous : il y a également un haut-parleur sous le préau. Et désormais, c’est une autre institution qui va capter votre attention : la crèche.

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Comme vous le constatez, celle de la place Sassine est grandeur nature.
Ici donc, Noël c’est important.
Mais dans mon petit quotidien, où que j'aille, je croise Noël. Il suffit que j'aille à la fac par exemple :
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A l'étage des sciences po :
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Mais la palme revient quand même au campus des sciences humaines :

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Et je vous passe les sapins et les crèches des bibliothèques et des salles de cours, car je sens votre agaçement monter : les crèches c'est mignon mais l'accumulation fait un peu "niais" . Pour ceux qui s'étonneraient encore de votre cette profusion de symboles chrétiens dans mon université, je rappelle que l'Université Saint-Joseph a été fondé en 1875 par des pères jésuites et qu'elle est encore et toujours dirigée par un religieux.

Les crèches fleurissent dans les halls d’immeubles. Les décorations sont installés dans les magasins, sur les balcons des maisons ... Les mauvaises langues ne manqueront pas de faire remarquer qu’il est un peu déplacé de faire fonctionner des guirlandes électriques alors que certaines régions sont privées d’électricité plusieurs heures par jour. Pour le peu que m’y connais et pour parler d’une façon très euphémisée, je ne peux pas leur donner complètement tort. Mais je crois que vous commencez à saisir que le Liban se caractérise par des inégalités assez fortes, et que ces ornements hivernaux ne sont qu’un des aspects pris par celles-ci. Pour enchaîner sur un autre thème lié à Noël, je peux évoquer le marché de Noël du centre-ville. Vous avez tous en tête le marché de Noël lillois (ou mieux, si vous comptez parmi les membres les plus importants de l’humanité, strasbourgeois), avec ses fausses cabanes en bois où les gogos trouvent des objets qui brillent et éventuellement quelques rasades de vin chaud. Ici, le marché se fait sous la grande tente d’exposition (rappelez-vous, elle a accueilli Questions pour un Champion pendant les Jeux de la Francophonie, ou encore le Hommos géant qui a battu le record du monde...) et est nettement plus sérieux : de la moquette verte et des petits stands pour les grandes marques, qui vous vendent essentiellement des habits féminins, des accessoires de mode, du petit mobilier... Encore une fois, pas de quoi faire rêver les enfants des gens modestes, qui ne viendront pas chercher une barbe à papa pour le petit dernier, ou une écharpe à offrir à grand’tata. Situé à proximité du centre-ville artificiel, ce marché de Noël me semble un lieu caricatural d’exercice de la ségrégation sociale. Excusez-moi pour les gros mots, mais à mon grand désaroi, je n’ai pas retrouvé la ferveur populaire du hommos géant et n’ai rien trouvé à acheter.
Je vous sais derrière un écran d’ordinateur et pourtant au bord de l’implosion. Quoi ? En ces temps difficiles, où nous devons à la fois subir l’élection de miss France, l’échec de la conférence de Copenhague, les frasques de Nadine Morano (pour ceux qui tiennent à le savoir, cette grande promotrice de la littérature française et de l’islam est une élue lorraine) pour ne pas parler du clip de l’UMP, il n’y a rien d’autre à évoquer dans Noël que le reflet d’une société consumériste et inégalitaire ? Si, rassurez-vous, j’ai une jolie histoire à raconter. L’histoire du marathon de Beyrouth. J’aimerais vous faire croire que j’ai couru les 42kms d’une foulée dont la vélocité n’aurait eu d’égale que l’élégance ; cependant, pour des soucis de fiabilité historique (je persiste à croire que les historiens de demain, vu le peu de cas que l’on fait de l’historiographie, devront s’abaisser à croiser des blogs simplement pour chercher à établir des faits), je me ravise. Je n’ai participé qu’à la course de 10km. Cette course rassemble des milliers de personnes. Par exemple, il y avait le premier ministre Saad Hariri. Si je ne l’ai pas encore dit et si vous ne suivez pas l’actualité politique libanaise, m. Hariri n’est plus seulement « Premier Ministre désigné », mais Premier Ministre pour de bon : un gouvernement de coalition a été formé, après plusieurs mois d’aternoiements et non d’éternuements, même si à force de claquer la porte des négociations, il semble normal qu’il y ait des courants d’air. Après cette petite disgression politico-comique qui a -je l’espère- plu à Janoé, je reviens au « 10km ». Cette « course » (je mets course entre guillemets car nombreux sont les participants qui se contentent de marcher, qui courent une partie du chemin et/ou qui ne cherchent pas à finir le parcours) est un moment particulier. Y participent des personnes de tous âges, des deux sexes, de toutes communautés. Les gens courent avec le tee-shirt de leur association (contre les mines anti-personnel, pour les droits des femmes...), leur entreprise (encore une fois, vous croisez de multiples banques sur le parcours), leur collège/lycée/université (ainsi votre aimable serviteur, qui arborait fièrement -fièrement?- le maillot de l’USJ) etc etc... Bref, c’est la cohue, surtout au départ qui n’est pas vraiment un départ mais plutôt le déplacement d’une foule, le long de la Corniche, qui crânement prend le temps d’un dimanche matin la place habituellement réservée aux voitures. Vous n’imaginez pas ce que représente Beyrouth (et surtout son bord de mer) sans voitures. C’est sans pollution, sans klaxon, presque calme (presque car des animations musicales, parfois pittoresques, égayent la marche de la meute qui dégage évidemment une clameur d’ensemble).
Le léger vent de la mer frappe votre visage et vous sentez vos muscles souffrir au contact du bitume. En un mot ou plusieurs, vous sentez que l’environnement urbain a aujourd’hui perdu ses principales forces dans la lutte qui l’oppose chaque jour à votre organisme. Chaque foulée (oui, j’ai couru quand même...) s’apparente à un ouf de soulagement, extirpant de vos poumons la suie noire de vos tracas quotidiens et de la fumée des taxis-service. Dieu que je trouve cette dernière image d’un à propos tout à fait discutable. Dans une émission de télé-réalité, elle m’aurait sans doute coûté la véhémence de la production. En attendant, la route continue : vous remontez la rue Hamra, rue mythique des folles nuits beyrouthines d’avant-guerre et qui tient encore à cultiver certains aspects extravagants, comme ses trotoirs étoilés.

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Les curieux seront ravis d’apprendre qu’au coeur de l’étoile, il est écrit « Association des commerçants de la rue Hamra ». Ensuite, vous repartez dans la direction opposée pour passer devant l’A.U.B., l’American University of Beirut, une institution non moins prestigieuse que l’U.S.J., beaucoup plus internationalisée et située donc dans le quartier qui bouge ; çà fait rêver. Pour rappelez au coureur qu’il passe devant une vénérable université fondée elle aussi par des missionnaires (mais protestants cette fois-ci), un concert de rock lui donnera les forces nécessaires pour faire les derniers kilomètres le séparant du centre-ville. A l’arrivée, je suis absolument comblé : je reçois un superbe tee-shirt « Marathon de Beyrouth », un cd vierge, un après-shampooing, une pomme, une bouteille d’eau, des prospectus publicitaires.

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Pour l’occasion : sur la photo il y a deux livres d’Amin Maalouf, que je vous conseille si vous voulez agrémenter vos vacances d’une approche romanesque de l’histoire du Liban : Le rocher de Tanios et Origines. Vous voyez que je déploie des trésors d’inventivité pour vous intéresser à mon pays d’accueil. Thomas (pas Tom-Tom, l’autre, désolé), si tu lis ces lignes, j’imagine que tu souscris à l’exclamation « festival pédagogique ! ». En tous cas, nanti par la gratitude des sponsors du marathon d’un tel équipement, comment pourrais-je maugréer au sujet de Noël ? N’est-ce pas un moment magique de réconfort dans l’adversité d’un rigoureux mois de décembre (« Anjad tu as couru ? Mais il faisait froid ! » : nous tournons autour de 15° ...) ? Bon, ce n’est pas le tout, mais je ne suis pas rentré dans ma Lorraine natale pour raconter ma vie mais pour apporter mon soutien à Nadine Morano qui paraît-il est dans une mauvaise passe. Je vous souhaite à tous un joyeux Noël. Profitez-en bien pour ceux qui rentrent. Les autres, j’espère que vous ne sentirez pas le sentiment déchirant de la solitude de l’étudiant post-moderne, perdu dans un monde sans valeur et qui s’est noyé en fuyant l’île qu’il avait lui-même transformé en désert.

A bientôt.
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commentaires

D
<br /> Vesele Vanoce meinen Freunden !<br /> <br /> <br />
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J
<br /> ah Amin Maalouf ! Je n'ai lu que /Léon l'Africain/, mais j'ai beaucoup aimé.. ;-)<br /> <br /> à Leipzig, Noël est partout aussi ! c'est terrifiant. opération marketing maximale avec les marchés de noël qui envahissent le centre depuis un mois. odeurs de glühwein et de wurst partout. dégueu<br /> quoi !<br /> <br /> Frohe Weinachten !<br /> <br /> <br />
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